• La steppe d'un pourquoi, interrogation défrichée, terre esseulée, étendue froide d'un abîme immense. Vastitude parcourue d'êtres décharnés et affamés, désertitude dépeuplée d'incessants abandons, d'inavouables exils.

    Pourquoi ?

    Taïga sibérienne, plaine glacée des questionnements sans fin. J'ai fait le voyage en solitaire d'un coeur où tout vient de se taire...


    5 commentaires
  • Je "dois" avoir un corps, c'est une nécessité morale, une "exigence". En premier lieu je dois avoir un corps parce qu'il y a de l'obscur en moi. L'originalité de Leibniz consiste en ce qu'il dit que le corps n'est pas seul à expliquer ce qu'il y a d'obscur dans l'esprit. Pour Leibniz au contraire, l'esprit est obscur, le fond de l'esprit est sombre et c'est cette nature sombre qui explique et exige un corps. Appelons "matière première" notre puissance passive ou la limitation de notre activité. Nous disons que notre "matière première" est exigence d'étendue mais aussi résistance, mais aussi encore exigence individuée d'avoir un corps individué. Leibniz nous dit aussi que nous devons avoir un corps parce que notre esprit a une zone d'expression privilégiée, claire et distincte. C'est maintenant la zone claire qui est exigence d'avoir un corps. et c'est parce que nous avons une zone claire que nous devons avoir un corps chargé de la parcourir ou de l'explorer, de la naissance à la mort...

    Pas très clair ? C'est que Libniz appartenait au "siècle des lumières", alors forcément, nuit et jour s'y affrontent, ténèbres et aurores s'y cotoient, aubes et crépuscules s'y peuplent et s'y dépeuplent. Le savoir, dépeuplement et désertitude, infinie solitude...


    5 commentaires
  • Le baroque  est inséparable d'un nouveau régime de la lumière et de la couleur. On peut d'abord considérer la lumière et les ténèbres comme 1 et 0, comme les 2 étages du monde séparés par une mince ligne des eaux : les Heureux et les damnés (Leibniz et l'arithmétique binaire - Christiane Fremont leibniz, discours sur la théologie naturelle des chinois, l'Herne) Il ne s'agit pourtant pas d'une opposition. Si l'on s'installe à l'étage d'en haut, dans une pièce sans porte ni fenêtre, on constate qu'elle est déjà très sombre, presque tapissée de noir, "fuscum subingrum". C'est un apport baroque : au fond blanc de craie ou de plâtre qui préparait le tableau, le Tintoret et le Caravage substituent un fond sombre brun-rouge, sur lequel ils placent les ombres les plus épaisses et peignent directement en dégradant vers les ombres. Le tableau change de statut, les ombres surgissent de l'arrière plan, les couleurs jaillissent du fond commun qui témoigne de leur nature obscure, les figures se définissent par leur recouvrement plus que par leur contour. C'est le nouveau régime de lumière qui glisse par une fente au milieu des ténèbres.

    6 commentaires
  • R comme Résistance

    Je crois qu'un des motifs de la pensée c'est une certaine honte d'être un homme. Je crois que l'homme, l'artiste, l'écrivain qui l'a dit le plus profondément c'est Primo Levi. Il a su parler de cette honte d'être un homme. Ce qui dominait à son retour des camps de concentration c'était la honte d'être un homme. C'est une phrase à la fois très splendide, je crois très belle mais ce n'est pas abstrait c'est très concret la honte d'être un homme. Mais elle ne veut pas dire les bêtises qu'on veut lui fait dire, ça ne veut pas dire nous sommes tous des assassins, où nous sommes tous coupables; par exemple nous sommes tous coupables devant le nazisme. Primo Levi le dit admirablement, cela ne veut pas dire que les bourreaux et les victimes se soient les mêmes. On ne nous fera pas croire cela, on ne nous fera pas confondre le bourreau et la victime. La</personname /> honte d'être un homme cela ne veut pas dire on est tous pareils, on est tous compromis (...) mais ça veut dire plusieurs choses; c'est un sentiment complexe, ce n'est pas un sentiment unifié. La honte d'être un homme ça veut dire à la fois : comment des hommes ont-ils pu faire cela?... des hommes c'est à dire d'autres que moi, comment ils ont pu faire ca ? et deuxième comment est-ce que moi j'ai quand même pactisé, je ne suis pas devenu un bourreau, mais j'ai pactisé assez pour survivre et puis une certaine honte d'avoir survécu, à la place de certains amis qui n'ont pas survécu. C'est donc un sentiment très complexe. Je crois qu' à la base de l'art il y a cette idée ou ce sentiment très vif d'une certaine honte d'être un homme qui fait que, l'art ça consiste à libérer la vie que l'homme a emprisonné. L'homme ne cesse pas d'emprisonner la vie, de tuer la vie, la honte d'être un homme, l'artiste c'est celui qui libère une vie, une vie puissante, une vie plus que personnelle, ce n'est pas sa vie. Gilles Deleuze – Abécédaire


    5 commentaires
  • Le pli a toujours existé dans les arts ; mais le propre du Baroque est de porter le pli à l'infini. Si la philosophie de Leibniz est baroque par excellence, c'est parce que tout se plie, se déplie, se replie. Sa thèse la plus célèbre est celle de l'âme comme " monade " sans porte ni fenêtre, qui tire d'un sombre fond toutes ses perceptions claires : elle ne peut se confondre que par analogie avec l'intérieur d'une chapelle baroque, de marbre noir, où la lumière n'arrive que par des ouvertures imperceptibles à l'observateur du dedans ; aussi l'âme est-elle pleine de plis obscurs. Pour découvrir un néo-baroque moderne, il suffit de suivre l'histoire du pli infini dans tous les arts : " pli selon pli ", avec la poésie de Mallarmé et le roman de Proust, mais aussi l'œuvre de Michaux, la musique de Boulez, la peinture de Hantaï. Et ce néo-leibnizianisme n'a cessé d'inspirer la philosophie.
    " Qu'est-ce que ça veut dire, le tissu de l'âme ? " ; ainsi commence ce cours, des années 1986-1987 consacrées à Leibniz. Pour illustrer cette question, Gilles Deleuze prend un exemple très simple, très concret, extrait du livre II des Nouveaux Essais sur l'Entendement : Je travaille, mais j'ai envie d'aller à la taverne. Et, pour faire comprendre ce dilemme, Deleuze se sert d'une extraordinaire théorie de Leibniz sur la damnation. Ici les surprises philosophiques se suivent et s'enchaînent. A la manière d'une étoffe qu'on déploierait pli à pli.

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique