• Si l'école aime à proclamer sa fonction d'instrument démocratique de la mobilité sociale, elle a aussi pour fonction de légitimer, et donc, dans une certaine mesure, de perpétuer les inégalités de chances devant la culture en transmuant, par les critères de jugement qu'elle emploie, les privilèges socialement conditionnés en mérites ou en "dons" personnels. A partir des statistiques qui mesurent l'inégalité des chances d'accès à l'enseignement supérieur selon l'origine sociale et le sexe et en s'appuyant sur l'étude empirique des attitudes des étudiants et de professeurs ainsi que sur l'analyse des règles, souvent non écrites, du jeu universitaire, on peut mettre en évidence, par delà l'influence des inégalités économiques, le rôle de l'héritage culturel, capital subtil fait de savoirs, de savoir-faire et de savoir-dire, que les enfants des classes favorisées doivent à leur milieu familial et qui constitue un patrimoine d'autant plus rentable que professeurs et étudiants répugnent à le percevoir comme un produit social. Pierre BOURDIEU et Jean Claude PASSERON - Les héritiers.

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  • « L'Empire des signes »</strong /></strong />

    Que ce soit avec Mythologies,  suite d'analyses sarcastiques de quelques représentations de l'idéologie petite-bourgeoise (faits divers, photos, articles de presse...) ou avec Le Degré zéro de l'écriture, « histoire du langage littéraire qui ne [serait] ni l'histoire de la langue, ni celle des styles, mais seulement l'histoire des Signes de la Littérature », l'œuvre de Barthes se propose d'emblée comme une critique de la signification. Signification</personname /> et non pas « sens » ; non pas les systèmes arbitraires de communication, les langages par lesquels les hommes codifient les rapports entre le monde et eux ou entre eux-mêmes, mais les systèmes annexes, seconds, par lesquels, à travers les langages, ils émettent indirectement des valeurs. Dans une pièce de Racine, le mot « flamme » veut dire amour ; c'est aussi un simple signe permettant de reconnaître l'univers de la tragédie classique. Un bifteck-frites a des qualités spécifiques ; c'est aussi le symbole d'une certaine francité. Bref, tout objet de discours, outre son message direct, sa dénotation, sa référence au réel, peut recevoir des « connotations » suffisantes pour entrer dans le domaine de la signification, dans le champ des valeurs. Tout peut devenir signe, tout peut être mythe.

    Pourquoi donc une critique du mythe (et plus globalement du signe, de la signification) ? D'abord parce que celui-ci est parasite : forme sans contenu, il ne crée pas de langages, mais les vole, les détourne, les exploite à son profit pour, en un métalangage, faire parler obliquement les choses. Ensuite parce qu'il est frauduleux : masquant les traces de sa fabrication, l'historicité de sa production, il se donne hypocritement comme allant de soi ; c'est l'Opinion publique, l'Esprit majoritaire, le Consensus petit-bourgeois, la Voix du Naturel, la Violence du Préjugé. Enfin parce qu'il est pullulant : il y a trop de signes et trop de signes exagérés, bouffis, malades ; la signification pléthorique non seulement prolifère mais encore en rajoute, jusqu'à l'écœurement et la nausée. Combien</personname />, dit Barthes, dans une journée, de champs véritablement insignifiants parcourons-nous ? Bien peu, parfois aucun. Que l'on songe à la surcharge agressive des affiches, des slogans, des images publicitaires, des gros titres. Barthes rêve du degré zéro de l'écriture (écriture de Blanchot, de Robbe-Grillet, de L'Étranger  de Camus), des interprétations sobres d'un Lipatti, des photos dépouillées d'Agnès Varda, de matériaux mats et frais, comme le bois...


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  • Palamède est célèbre pour son différend avec Ulysse.

    On attribue au fils de Nauplios et de Clyméné l'invention des nombres, l'usage de la monnaie, le calcul de la durée des mois d'après le cours des astres.

    Palamède aurait aussi imaginé le jeu de dames, celui des dés et celui des osselets...

    Pourquoi joue-t-on ?

    Pour se mesurer à autrui ; pour fuir l'ennui ; par goût du déguisement ; afin de se donner le bonheur du vertige...

    Jouer est une conduite apparemment paradoxale puisqu'elle substitue aux contraintes de la vie ordinaire d'autres contraintes, bien que choisies celles-ci.

    Il s'agit d'une action libre, fictive, générant un espace-temps spécifique, réglée, incertaine dans son déroulement et résolument improductive.

    Dans « Les jeux et les hommes » chez gallimard, ouvrage qui fait toujours référence, Roger Caillois ramenait l'inépuisable variété des jeux à un petit nombre d'attitudes existentielles, à de « puissants instincts » qui en seraient comme les sources dissimulées.

    Se fondant sur les analyses de Johan Huizinga (Homo Ludens) pour qui le jeu génère la culture, le cofondateur du Collège de Sociologie proposait une typologie des intérêts psychologiques poussant l'homme à adopter telle ou telle activité ludique de préférence à telle autre :

    -l'ambition de triompher grâce au seul mérite dans une compétition réglée (agôn) ;

    -la démission de la volonté au profit d'une attente anxieuse et passive d'un arrêt du sort (alea);

    -le goût de revêtir une personnalité étrangère (mimicry);

    -la poursuite du vertige (ilinx).

    D'où la lutte et les échecs, l'esprit de combinaison, les dés, le goût du travestissement et du théâtre, la volupté du manège...

    D'où également la réprobation du métaphysicien rationaliste qui ne voit là qu'énergie dissipée, temps perdu, transgression du "sérieux de l'existence"; qui ne tolère le jeu qu'à la manière d'un complément de l'activité socialement utile et laborieuse, comme loisir et distraction, comme appoint de l'éducation ; et qui méprise habituellement ces grandes constantes de la conduite humaine. A la différence d'un Héraclite et d'un Nietzsche considérant le Ludus comme essence de l'existence...


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  • Il y a vingt ans, le 25 juin 1984, mourait Michel Foucault, à 58 ans. En lutte permanente avec toutes les formes de pouvoir, ce philosophe audacieux laissait une oeuvre inachevée mais ouverte. Une douzaine d'ouvrages dont il disait qu'ils étaient «tout au plus des fragments philosophiques dans des chantiers historiques». Jugement bien modeste pour ce qui reste aujourd'hui une formidable «boîte à outils» pour comprendre notre société, mais aussi pour la bousculer. Faire bouger les mots pour faire bouger les choses; sa pensée résonne, comme l'éclat de rire de sa liberté. pix

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