• DELEUZE / ANTI OEDIPE ET MILLE PLATEAUX

    Cours Vincennes : dualisme, monisme et multiplicités - 26/03/1973

     Désir-plaisir-jouissance

    Foucault a dit dans L'archéologie, des choses bien profondes sur les énoncés, qui concernent plusieurs domaines à la fois, même si ce n'est pas en même temps. Je prends deux exemples très vagues : il y a un moment, dans la cité grecque où des énoncés d'un type nouveau surgissent, et ces énoncés d'un type nouveau surgissent dans des rapports temporels assignables, en plusieurs domaines. Ça peut être des énoncés concernant l'amour, concernant le mariage, concernant la guerre, et on sent qu'il y a une espèce de parenté, de communauté entre ces énoncés. On voit bien que les penseurs qui s'efforcent de donner des explications de comment se fait-il que dans des domaines divers, des énoncés surgissent qui ont un air de parenté. Il y a en Grèce par exemple, au moment de la réforme dite "hoplitique", des énoncés de type nouveau qui surgissent en ce qui concerne la guerre et la stratégie, mais aussi de nouveaux énoncés en ce qui concerne le mariage, la politique. On</personname /> se dit que tout ça, ce n'est pas sans rapport. Il y a des gens qui disent tout de suite qu'il y a, par exemple, un système d'analogies ou un système d'homologies et que, peut-être, tous ces énoncés renvoient à une structure commune. On les appellera des : structuralistes... Il y en a d'autres qui diront que ces productions d'énoncés dépendent d'un certain domaine déterminant par rapport aux autres, et ceux là, par exemple, on les appellera des : marxistes...

    J'ai l'impression que dans Leroi-Gourhan, il y a des trucs qui pourraient servir, il faudrait voir comment est-ce que ça fonctionne. Cette pointe machinique indiquerait une espèce de vitesse de déterritorialisation. Il y a un système d'indices sous lesquels se font des reterritorialisations en machines qualifiées, machines de guerre, machines d'amour, machines de mariage.

    La démarche du cogito, vous vous rappelez, c'est : je peux dire "je pense donc je suis", je ne peux pas dire "je marche, donc je suis". Descartes s'explique là-dessus dans ses réponses aux objections dans les rares pages comiques de Descartes où quelqu'un lui a objecté : "pourquoi vous ne dites pas je marche comme je suis" et il dit je ne peux pas. Et ça revient à dire "je marche" c'est un sujet de l'énoncé tandis que "je pense", c'est le sujet de l'énonciation. Alors, peut-être que je ne marche pas, mais il y a une chose dont je suis sûr, c'est que je pense marcher. En d'autres termes : le sujet ne peut produire un énoncé sans être par là même scindé par l'énoncé en un sujet de l'énonciation et un sujet de l'énoncé. Ça introduit toute la métaphysique du sujet dans la psychanalyse...


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  • DELEUZE / ANTI OEDIPE ET MILLE PLATEAUX
    Cours Vincennes : nature des flux - 14/12/1971
    Je voudrais avancer le problème de l'économie des flux; la dernière fois, quelqu'un voulait une définition plus précise des flux, plus précise que quelque chose qui coule sur le socius; ce que j'appelle socius, ce n'est pas la société mais une instance sociale particulière jouant le rôle de corps plein. Toute société se présente comme un socius ou corps plein sur lequel coulent des flux de toutes natures et sont coupés, et l'investissement social du désir, c'est cette opération fondamentale d la coupure-flux à laquelle on peut donner le nom commode de schize. Il n'importe pas encore pour nous d'avoir une définition réelle des flux, mais il importe, comme point de départ, d'avoir une définition nominale et cette définition nominale doit nous fournir un premier système de concepts. Je prends comme point de départ pour la recherche d'une définition nominale des flux, une étude récente d'un spécialiste des flux en économie politique: Daniel ENTIER, "Flux et stocks". Stocks et flux sont deux notions fondamentales de l'économie politique moderne marquées par Keynes au point qu'on trouve chez lui la première grande théorie des flux dans: "La théorie générale de l'emploi et de l'intérêt". Entier nous dit: "du point de vue économique, on peut appeler flux la valeur des quantités de biens de service ou de monnaie qui sont transmises d'un pôle à un autre"; le premier concept à mettre en rapport avec celui de flux, c'est celui de pôle; le flux en tant qu'il coule sur le socius, entre par un pôle et sort par un autre pôle. La dernière fois, on avait essayé de montrer que les flux impliquaient des codes, en ce sens qu'un flux pouvait être dit économique dans la mesure où quelque chose passait et où quelque chose d'autre était bloqué et quelque chose d'autre le bloquait et le faisait passer; l'exemple c'était les règles d'alliance dans les sociétés dites primitives, où les interdits représentent bien un blocage dans le flux de mariage possible par exemple; les premiers mariages permis, i.e. les premiers incestes permis qu'on appelle les unions préférentielles et qui, en fait, ne sont presque jamais réalisés, représentent comme les premiers modes de passage : quelque chose passe, quelque chose est bloqué, ce sont les interdits d'inceste, quelque chose passe, ce sont les unions préférentielles, quelque chose bloque et fait passer, c'est par exemple l'oncle utérin. Donc, de toutes manières, il y a détermination d'un flux d'entrée et de sortie; la notion de pôle implique ou est impliquée par le mouvement des flux, et elle nous renvoie à l'idée que quelque chose coule, que quelque chose est bloqué, quelque chose fait couler, quelque chose bloque. Entier continue : "Sachant qu'on appellera pôle un individu ou une entreprise ou bien un ensemble d'individus ou d'entreprises, voire même de fractions d'entreprises ..." "Là, sont définis les intercepteurs de flux ..."

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  • DELEUZE / ANTI OEDIPE ET MILLE PLATEAUX
    Cours Vincennes - 16/11/1971
    Les codes, le capitalisme, les flux, décodage des flux, capitalisme et schizophrénie, la psychanalyse, Spinoza

    Qu'est-ce qui passe sur le corps d'une société ? C'est toujours des flux, et une personne c'est toujours une coupure de flux. Une personne, c'est toujours un point de départ pour une production de flux, un point d'arrivée pour une réception de flux, de flux de n'importe quelle sorte; ou bien une interception de plusieurs flux.
    Si une personne a des cheveux, ces cheveux peuvent traverser plusieurs étapes : la coiffure de la jeune fille n'est pas la même que celle de la femme mariée, n'est pas la même que celle de la veuve : il y a tout un code de la coiffure. La personne en tant qu'elle porte ses cheveux, se présente typiquement comme interceptrice par rapport à des flux de cheveux qui la dépassent et dépassent son cas et ces flux de cheveux sont eux-mêmes codes suivant des codes très différents : code de la veuve, code de la jeune fille, code de la femme mariée, etc. C'est finalement ça le problème essentiel du codage et de la territorialisation qui est de toujours coder les flux avec, comme moyen fondamental : marquer les personnes, (parce que les personnes sont à l'interception et à la coupure des flux, elles existent aux points de coupure des flux).

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  • DELEUZE / SPINOZA
    Cours Vincennes : affect et affectus - 24/01/1978

    Premier point: qu'est-ce que c'est une idée? Qu'est-ce que c'est une idée pour comprendre même les propositions les plus simples de Spinoza. Sur ce point Spinoza n'est pas original, il va prendre le mot idée au sens où tout le monde l'a toujours pris. Ce qu'on appelle idée, au sens où tout le monde l'a toujours pris dans l'histoire de la philosophie, c'est un mode de pensée qui représente quelque chose. Un mode de pensée représentatif. Par exemple, l'idée du triangle est le mode de pensée qui représente le triangle. Du point de vue toujours de la terminologie, il est très utile de savoir que depuis le Moyen Age cet aspect de l'idée est nommé «réalité objective». Dans un texte du XVIIe siècle ou d'avant, quand vous rencontrez la réalité objective de l'idée cela veut dire toujours: l'idée envisagée comme représentation de quelque chose. L'idée, en tant qu'elle représente quelque chose, est dite avoir une réalité objective. C'est le rapport de l'idée à l'objet qu'elle représente.
    Donc, on part d'une chose toute simple: l'idée, c'est un mode de pensée défini par son caractère représentatif. Ça nous donne déjà un tout premier point de départ pour distinguer idée et affect (affectus), parce que on appellera affect tout mode de pensée qui ne représente rien. Qu'est-ce que ça veut dire, ça? Prenez au hasard ce que n'importe qui appelle affect ou sentiment, une espérance par exemple, une angoisse, un amour, cela n'est pas représentatif. Il y a bien une idée de la chose aimée, il y a bien une idée d'un quelque chose d'espéré, mais l'espoir en tant que tel ou l'amour en tant que tel, ne représentent rien, strictement rien. Tout mode de pensée en tant que non représentatif sera nommé affect. Une volition, une volonté, elle implique bien, à la rigueur, que je veuille quelque chose, ce que je veux, cela est objet de représentation, ce que je veux est donné dans une idée, mais le fait de vouloir n'est pas une idée, c'est un affect parce que c'est un mode de pensée non représentatif.


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  • DELEUZE / SPINOZA
    Cours Vincennes : la puissance, le droit naturel classique - 09/12/1980
    Les problèmes de terminologie, d'invention de mots
    Pour désigner un nouveau concept, tantôt vous prendrez un mot très courant, ce sera même là les meilleures coquetteries. Seulement, implicitement, ce mot très courant prendra un sens tout à fait nouveau ; tantôt vous prendrez un sens très spécial d'un mot courant, et vous chargerez ce sens, et tantôt il vous faudra un mot nouveau. C'est pour ça quand on reproche à un philosophe de ne pas parler comme tout le monde, ça n'a pas de sens. Tantôt c'est très bien de n'utiliser que des mots courants, tantôt il faut marquer le coup, le moment de la création de concepts, par un mot insolite.
    Je vous ai parlé la dernière fois de ce grand philosophe qui a eu de l'importance pendant la renaissance, Nicolas de Cuses. Nicolas de Cuses il avait créé une espèce de mot-valise, il avait contaminé deux mots latins. Pourquoi ? C'est une bonne création verbale. À ce moment-là, on parlait latin alors il est passé par le latin, il disait : l'Être des choses, c'est le " possest ". Ça fait rien si vous n'avez pas fait de latin, je vais expliquer. Possest, ça n'existe pas comme mot, c'est un mot inexistant, c'est lui qui le crée, ce mot, le possest. C'est un bien joli mot, c'est un joli mot pour le latin. C'est un affreux barbarisme, ce mot est affreux. Mais philosophiquement il est beau, c'est une réussite. Quand on crée un mot il faut qu'il y ait des ratages, rien n'est fait d'avance.
    Possest, c'est fait de deux termes en latin : « posse » qui est l'infinitif du verbe pouvoir, et « est » qui est la troisième personne du verbe être à l'indicatif présent, il est. Posse et est, il contamine les deux et ça donne possest. Et qu'est ce que c'est le possest ? Le possest c'est précisément l'identité de la puissance et de l'acte par quoi je définis quelque chose. Donc je ne définirais pas quelque chose par son essence, ce qu'elle est, je la définirais par cette définition barbare, son possest : ce qu'elle peut. À la lettre : ce qu'elle peut en acte.


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