• Autour de Thomas Bernhard

    Ce qu'écrivent les écrivains, n'est bien sûr pas contre la réalité, oui, oui ils écrivent bien sûr, que tout est épouvantable, que tout est corrompu et déchu, que tout est catastrophique, et que tout est sans issue, mais tout ce qu'ils écrivent, n'est rien contre la réalité, la réalité est si mauvaise, qu'elle ne peut pas être décrite, aucun écrivain n'a déjà décrit la réalité, comme est l'est vraiment, c'est ce qui est épouvantable.

    Thomas Bernhard: Heldenplatz (1988)

    L'œuvre de Thomas Bernhard a longtemps été lue comme un monochrome en noir, reflet d'un pessimisme d'inspiration baroque, renforcé par un nihilisme typiquement moderne. Cependant, entre Frost, le premier roman, et Auslöschung. Eîn Zerfall le dernier, une évolution est perceptible, qui va de l'extrême de la douleur au rire et aboutit à la revendication d'une écriture de l'effacement. Que ce soit sous la forme d'un désespoir ressassé dans " une phrase infinie " ou encore d'une exagération délibérément grotesque et " carnavalesque ", l'œuvre de Thomas Bernhard s'est toujours accompagnée, au-delà des strictes limites de l'espace littéraire, de scandales et autres perturbations de la vie publique autrichienne. En cultivant savamment ceux-ci, Thomas Bernhard dépasse la simple recherche de l'effet et tire d'une sensation qui est la condition de l'émergence de l'œuvre, une capacité à irriter, à arracher à l'indifférence et, par là, à une menace de mort. L'irritation saisit dans la réactivation la possibilité d'élaborer un art de l'irritation. Esthétiquement, celui-ci détermine une écriture unique et originale. Mais sur le plan éthique surtout, l'évolution de l'œuvre reflète la possibilité tirée à l'art de l'irritation de s'opposer au monde, de s'affirmer en existant contre lui. L'écriture de l'effacement, tout en portant les stigmates du nihilisme montre la voie d'une existence possible dans une attitude d'opposition permanente au monde. Le fondement de cette existence n'est plus l'attachement nostalgique mais utopique à un rêve d'accord parfait entre le moi et le monde, mais la volonté de s'en guérir et de se construire sur les sables mouvants d'une vérité qui sans cesse échappe. Endossant les crises de la modernité, l'irritation telle que Thomas Bernhard la pratique, propose un art d'exister qui, loin de se satisfaire de reproduire le nihilisme partout constaté, tente d'y faire pièce sans l'occulter ou le nier, transformant ainsi un ars moriendi en modus vivendi.


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