• « le rire des enfants déboulant sur une meule ou jouant le soir autour d'une bougie à garder leur paume ouverte le plus longtemps sur la flamme ».

    Pourquoi interpeller qui ne peut plus entendre et n'a plus de voix pour répondre, pourquoi défier très naïvement l'énorme silence des morts que nul vivant n'a jamais eu la force de rompre ?

    Du rire au silence Louis rené des forets tout au long de son oeuvre oscille entre joie et échec du vivant. Ce sont les mots fous d'une enfance trop vite épuisée et précipitée dans le monde adulte, monde effrayant et mourant de l'adulte difficulté de vivre...

    Dos au mur, jambes croisées, se tenant désespérément à distance des frêles clameurs auxquelles son corps tendu pour mieux entendre brûle et refuse de s'unir.

    Oubliant les raisons qu'il a d'être en larmes pour faire face, poings fermés, jarrets tendus, à ceux qui le narguent, trop faible pour les réduire, mais l'œil si méchant qu'ils prennent peur et battent en retraite, comme interloqués à la vue de ce visage méconnaissable qui, une fois franchies les limites du jeu, a l'éclat meurtrier d'une folie impossible à contenir.

    Souffrance, détresse, fureur dont il se délivre par le rire, et c'est ainsi qu'on le tient pour un garçon joyeux.

    Non pas aux prises avec un passé qui serait une préfiguration de l'avenir, mais restitué à l'ignorance de lui-même dans la lumière aveuglante du présent.

    Paroles, rires, échos de la joie ancienne qui résonnent dans un lointain intemporel, et s'effacent sans se faire oublier.

    Que jamais la voix de l'enfant en lui ne se taise, qu'elle tombe comme un don du ciel offrant aux mots desséchés l'éclat de son rire, le sel de ses larmes, sa toute-puissante sauvagerie.

    A tout âge le cœur reste le plus remuant organe de l'être. Puisse-t-il comme en sa jeune saison s'enfiévrer d'orgueil, de rage et d'amour jusqu'au dernier battement.

    Non plus mourir à longueur de journée sans bénéficier du repos de la mort, mais reprendre son rang de vivant pour lutter encore jusqu'à l'épuisement des munitions, quand même tous ces assauts répétés ne lui feraient pas gagner un pouce de terrain.

     Ostinato – Louis René Des Forets


    votre commentaire
  • Nous devons aussi admettre que la littérature, actuellement du moins encore, constitue non seulement une expérience propre, mais une expérience fondamentale, mettant tout en cause, y compris elle-même, y compris la dialectique (...) l'art est contestation infinie. Maurice Blanchot

    Le neutre – Espace de questionnement
    Si l'on peut considérer cet espace comme un lieu vide, déshumanisé, placé sous le signe du désastre, il est aussi, et ce, sans exclure le premier mouvement, un lieu dégagé de toute nécessité (autre qu'elle-même). Un espace subversif, car affranchi de toute contrainte (morale, sociale...), de toute norme, de tout référent (idéologique, philosophique, psychologique)... Un lieu de questionnement radical. C'est le neutre de Blanchot, le "il" de Kafka qui questionnent à chaque page l'espace de parole.
    Maurice Blanchot et le neutre : On n'échappe pas au spectacle du bonheur. (Le ressassement éternel, p.9, Éd. de Minuit, 1983)

    Qu'arrive-t-il lorsqu'on a trop longtemps vécu dans les livres ? On oublie le premier et le dernier mot. (Le ressassement éternel, p.68, Éd. de Minuit, 1983)

    L'élève écoute le maître avec docilité. Il reçoit de lui des leçons et il l'aime. Il fait des progrès. Mais, si un jour il voit que ce maître est Dieu, il le bafoue et ne sait plus rien. (Le ressassement éternel, p.72, Éd. de Minuit, 1983)

    Avant l'oeuvre, oeuvre d'art, oeuvre d'écriture, oeuvre de parole, il n'y a pas d'artiste, ni d'écrivain, ni de sujet parlant, puisque c'est la production qui produit le producteur, le faisant naître ou apparaître en le prouvant. (Après coup, p.85, Éd. de Minuit, 1983)

    Du " ne pas encore " au " ne plus ", tel serait le parcours de ce qu'on nomme l'écrivain, non seulement son temps toujours suspendu, mais ce qui le fait être par un devenir d'interruption. (Après coup, p.86, Éd. de Minuit, 1983)

    [...] si l'imaginaire risque un jour de devenir réel, c'est qu'il a lui-même ses limites assez strictes et qu'il prévoit facilement le pire parce que celui-ci est toujours le plus simple qui se répète toujours. (Après coup, p.96, Éd. de Minuit, 1983)

    Maurice Blanchot nous invite dans ses oeuvres à partager le risque d'expérimenter la densité autant que la précarité de cet espace orphique, point de tension extrême, qu'il désigne sous la terminologie du neutre. (Le neutre renvoie à ce qui n'est ni l'un, ni l'autre (ne-uter). Il est le maintien, dans l'écriture et dans un mouvement en même temps destructeur et fondateur, de l'affirmation et de la négation dans un rapport qui n'est pas celui du conflit ou du dépassement, mais de la cohabitation. l'espace littéraire est ce lieu « Autre » d'avènement du neutre). On peut considérer cet espace comme un lieu vide, déshumanisé, placé sous le signe du désastre. Un espace subversif, affranchi de toute contrainte (morale, sociale...), de toute norme, de tout référent (idéologique, philosophique, psychologique). Un lieu de questionnement radical. (Maurice Blanchot considère l'écriture du neutre comme L'Ecriture du désastre, dans le cadre d'une problématisation qui n'est toutefois pas à confondre avec une remise en cause de cet espace, considéré tout à coup comme inexistant ou "faux". Il s'agit pour Blanchot d'expérimenter le "tarissement structurel" de la puissance évocatrice du neutre. Lieu dans le même temps de la création et espace tautologique, qui ne conduit qu'à la production d'une parole, reliquat de toute communication, indifférente à tout hors d'elle-même. Expérimentation qui marque tant la ruine de l'espoir « d'œuvre » pour l'écrivain et ce sans pour autant qu'il cesse d'écrire, toujours en quête de « l'oeuvre parfaite », exhaustive, Le Livre à venir, que la ruine de l'homme, réduit à l'état de conscience sans devenir, sans pour autant qu'il cesse de rechercher, les conditions propres de sa réalisation).


    1 commentaire
  • Ce qu'écrivent les écrivains, n'est bien sûr pas contre la réalité, oui, oui ils écrivent bien sûr, que tout est épouvantable, que tout est corrompu et déchu, que tout est catastrophique, et que tout est sans issue, mais tout ce qu'ils écrivent, n'est rien contre la réalité, la réalité est si mauvaise, qu'elle ne peut pas être décrite, aucun écrivain n'a déjà décrit la réalité, comme est l'est vraiment, c'est ce qui est épouvantable.

    Thomas Bernhard: Heldenplatz (1988)

    L'œuvre de Thomas Bernhard a longtemps été lue comme un monochrome en noir, reflet d'un pessimisme d'inspiration baroque, renforcé par un nihilisme typiquement moderne. Cependant, entre Frost, le premier roman, et Auslöschung. Eîn Zerfall le dernier, une évolution est perceptible, qui va de l'extrême de la douleur au rire et aboutit à la revendication d'une écriture de l'effacement. Que ce soit sous la forme d'un désespoir ressassé dans " une phrase infinie " ou encore d'une exagération délibérément grotesque et " carnavalesque ", l'œuvre de Thomas Bernhard s'est toujours accompagnée, au-delà des strictes limites de l'espace littéraire, de scandales et autres perturbations de la vie publique autrichienne. En cultivant savamment ceux-ci, Thomas Bernhard dépasse la simple recherche de l'effet et tire d'une sensation qui est la condition de l'émergence de l'œuvre, une capacité à irriter, à arracher à l'indifférence et, par là, à une menace de mort. L'irritation saisit dans la réactivation la possibilité d'élaborer un art de l'irritation. Esthétiquement, celui-ci détermine une écriture unique et originale. Mais sur le plan éthique surtout, l'évolution de l'œuvre reflète la possibilité tirée à l'art de l'irritation de s'opposer au monde, de s'affirmer en existant contre lui. L'écriture de l'effacement, tout en portant les stigmates du nihilisme montre la voie d'une existence possible dans une attitude d'opposition permanente au monde. Le fondement de cette existence n'est plus l'attachement nostalgique mais utopique à un rêve d'accord parfait entre le moi et le monde, mais la volonté de s'en guérir et de se construire sur les sables mouvants d'une vérité qui sans cesse échappe. Endossant les crises de la modernité, l'irritation telle que Thomas Bernhard la pratique, propose un art d'exister qui, loin de se satisfaire de reproduire le nihilisme partout constaté, tente d'y faire pièce sans l'occulter ou le nier, transformant ainsi un ars moriendi en modus vivendi.


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique