• DEUXIEME LETTRE DE MÉNAGE

    J'ai besoin, à côté de moi, d'une femme simple et équilibrée, et dont l'âme inquiète et trouble ne fournirait pas sans cesse un aliment à mon désespoir. Ces derniers temps, je ne te voyais plus sans un sentiment de peur et de malaise. Je sais très bien que c'est ton amour qui te fabrique tes inquiétudes sur mon compte, mais c'est ton âme malade et anormale comme la mienne qui exaspère ces inquiétudes et te ruine le sang. Je ne veux plus vivre auprès de toi dans la crainte. J'ajouterai</personname /> à cela que j'ai besoin d'une femme qui soit uniquement à moi et que je puisse trouver chez moi à toute heure. Je suis désespéré de solitude. Je ne peux plus rentrer le soir, dans une chambre, seul, et sans aucune des facilités de la vie à portée de ma main. Il me faut un intérieur, et il me le faut tout de suite, et une femme qui s'occupe sans cesse de moi qui suis incapable de m'occuper de rien, qui s'occupe de moi pour les plus petites choses. Une artiste comme toi a sa vie, et ne peut pas faire cela. Tout ce que je te dis est d'un égoïsme féroce, mais c'est ainsi. Il ne m'est même pas nécessaire que cette femme soit très jolie, je ne veux pas non plus qu'elle soit d'une intelligence excessive, ni surtout qu'elle réfléchisse trop. Il me suffit qu'elle soit attachée à moi. Je pense que tu sauras apprécier la grande franchise avec laquelle je te parle et que tu me donneras la preuve d'intelligence suivante : c'est de bien pénétrer que tout ce que je te dis n'a rien à voir avec la puissante tendresse, l'indéracinable sentiment d'amour que j'ai et que j'aurai inaliénablement pour toi, mais ce sentiment n'a rien à voir lui-même avec le courant ordinaire de la vie. Et</personname /> elle est à vivre, la vie. Il</personname /> y a trop de choses qui m'unissent à toi pour que je te demande de rompre, je te demande seulement de changer nos rapports, de nous faire chacun une vie différente, mais qui ne nous désunira pas.

    Antonin Artaud Extrait de"L'ombilic des Limbes, Le pèse nerfs",

    Aliénation et clinique écriture

    « Ce monde a besoin de cultiver des cobayes pour sa séculaire collection de squelettes, squelettes d'aliénation. La folie est un coup monté et sans la médecine elle n'aurait pas existé. Il a fallu choisir entre renoncer à être homme ou devenir un aliéné évident ; mais quelle garantie les aliénés évidents de ce monde ont-ils d'être soignés par d'authentiques vivants ? » Antonin Arthaud, Aliénation et Magie noire.

     « S'ils brament de douleur et d'horreur, c'est qu'ils ont abandonné le langage et ses lois pour les tordre. » Antonin Arthaud, suppôts et supplications

    Le langage pour Arthaud est une torsion, la vrille du malheur qui nous taraude. Le verbe est avortement, ratage créateur ; « J'ai raté mes mots, c'est tout... mais si j'enfonce un mot violent comme un clou je veux qu'il suppure dans la phrase comme une ecchymose à cent trous ». Le malheur, c'est cette constitutive insuffisance, constitutive absence de notre être face aux grands moments. Dans les grands moments d'écriture, de peinture, de création quel qu'en soit le support, photo, cinéma, musique, etc... il y a cet échec profond, perpétuel, maladif, clinique.

    Arthaud met en écriture la convulsion de mondes tourbillonnants, et dans son langage allie force brutale et délicatesse infinie. Sa feuille est son « théâtre de la cruauté », il pulvérise la pensée normée, alignée. « Ecriture de gauche à droite, mais pourquoi pas de bas en haut ? D'arrière en avant ou d'avant en arrière ?» Ecriture quête où les perspectives éclatent, asiles du « corps sans organe »

    Qu'est-ce qu'écrire-dessiner ? C'est refaire un « corps sans organes », multiplier les explosions du verbe, mutations atomiques du langage, danse corporelle de signes, scénographie picturale pour « refaire corps avec l'os des musiques de l'âme ».

    L'œuvre d'Arthaud est musicale, atmosphère sonore et criante.


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  • Kafka ne produit pas des discours, mais crée des individus et des situations, et exprime dans son œuvre des sentiments, des attitudes, une Stimmung.
    Son œuvre est traversée de passages, de passerelles, de liens souterrains. Ces passages nous ouvrent un accès privilégié à ce qu'on pourrait appeler le paysage interne de l'œuvre de Kafka.
    Les inclinations socialistes de Kafka se sont manifestées très tôt. Au début des années 30 Kafka allait régulièrement aux réunions du Klub Mladych (club des Jeunes), organisation libertaire, antimilitariste et anticléricale, fréquentée par plusieurs écrivains tchèques (Neumann, Mares, Hasek). Kafka assistait souvent, en silence, aux séances du cercle. On le surnommait "Klidas", ce qu'on pourrait traduire par "le taciturne" ou plus exactement dans l'argot tchèque par "colosse de silence".
    L'écriture et l'œuvre de Kafka, spirales infernales d'un vivre dans sa difficulté énonciatrice, profond silence duquel une voix s'élève, ample et généreuse.

    "En un point qui n'est pas tout à fait le centre du terrier, mais qui a été mûrement choisi pour un cas d'extrême péril (poursuite non, mais plutôt siège), j'ai bâti le cœur de ma citadelle. Alors que le reste était plutôt un travail de combinaison, une besogne de l'esprit, cette forteresse est en toutes parties le résultat d'un labeur harassant de mon corps. Plusieurs fois, dans le désespoir où me plongeait l'épuisement physique, j'ai failli tout abandonner, je me suis roulé sur le dos, j'ai maudit le terrier, je me suis traîné dehors et je l'ai planté là sans même le fermer. Rien ne m'en empêchait, je ne voulais plus y revenir, et puis, des heures, des jours après, je revenais plein de remords, j'aurais presque chanté de joie en le voyant si invulnérable et je me remettais à l'œuvre avec un sincère bonheur. " La colonie Pénitentiaire - Kafka


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  • "J'ai le malheur, voyez-vous, de me contredire sans arrêt. C'est ce que fait toujours la réalité, mais l'esprit ne le fait pas, ni la vertu (...). Par exemple, après une dure marche en été, il peut m'advenir d'avoir une folle envie d'un verre d'eau et de tenir alors l'eau pour la chose du monde la plus merveilleuse. Un quart d'heure plus tard, ayant bu, rien ne m'intéresse moins sur terre que l'eau et la boisson. J'agis de même pour la nourriture, le sommeil, la pensée. Mon rapport avec ce qu'on appelle l'esprit est tout juste le même qu'avec la nourriture et la boisson. Parfois il n'est rien qui m'attire autant, me semble aussi indispensable que l'esprit, que la faculté d'abstraction, que la logique, que l'idée. Puis, lorsque j'en suis rassasié, que j'ai besoin et envie du contraire, l'esprit me dégoûte autant qu'un aliment avarié..." Hermann HESSE (Siddharta) 

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  • On peut ressentir la vie comme une nausée au creux de l'estomac. Démesuré un silence pèse obscurément. J'ai conquis, un petit pas après l'autre, le territoire intérieur qui était mien de naissance; J'ai réclamé , un petit espace après l'autre, le marécage où j'étais demeuré seul. J'ai accouché de mon être infini, mais j'ai dû m'arracher de moi-même au forceps... Fernando Pessoa


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  • Au "Jeu des décapitations" José Lezama Lima nous entraîne dans un métissage de l'éciture. Inspirations hispaniques, africaines et chinoises mêlent leurs généreuses identités, leurs essences rares.

    Avec "Paradiso", le "jeu des décapitations" entrez dans l'univers du "Proust des caraïbes".


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