• A-communication

    Il était là, dans l'ondoyante et verdoyante nature. Il fuyait ce qui en lui ne cessait de sédentariser. Exil sédentaire d'un cœur défait de misère.

    Un matin, alors qu'il se rendait à son bureau, il n'emprunta pas le chemin habituel. Il s'écarta de l'avenue principale qui conduisait irrémédiablement à son bureau pour entrer dans une rue transversale que bordait le flanc abrupt d'un à pic.

    Il voulait faire durer cette heure matinale où lentement le monde s'éveille, hésite encore à crier. Bientôt la rue, les trottoirs ne seraient plus que cris, immenses et vastes plaines du désespoir humain. Il entendait ces cris à  chaque fois qu'il entrait dans la foule des citoyens du vide, pressés d'aller s'éteindre dans le monde froid de leurs occupations inutiles.

    Ce matin là, il sut immédiatement qu'il n'irait plus jamais à ce bureau gris où sa vie s'enfermait déjà depuis trop longtemps.

    Alors il fit demi-tour et s'enfuit. Sans un mot, sans un adieu, sans un regret.

    Sa femme, il ne la quitta pas, elle était déjà partie depuis bien longtemps. Ils vivaient ensemble pour les apparences, pour la maison, les crédits, par habitude.

    Elle avait sa vie qu'elle ne lui cachait pas. Et s'il devait se souvenir, c'est peu à peu que cette inépuisable distance s'installa entre eux. Jour après jour, ils avaient cessé de se regarder vraiment, de s'aimer ardemment. Lentement leurs existences quotidiennes avaient fini par ne former que deux solitudes complètement étrangères l'une à l'autre. Les solitudes parfois s'épousent, quand les leurs ne faisaient que repousser toujours plus loin leur immense et vaste désertitude.

    Et comme deux déserts qui se faisaient face, ils n'eurent d'autre similitude que la parenté sablonneuse de leurs existences enfouies. Comme deux vis-à-vis condamnés par des lois silencieuses à demeurer ainsi l'un et l'autre toujours en opposition, semblables à deux miroirs qui ne reflétaient rien d'autre que le vide étale et immobile entre eux.

    Les amis, des relations de travail, des voisinages que certaines heures décisives ont institués et destinés à plus d'intimité, à plus de confidences. Mais il sentait bien que ses amis aussi n'avaient jamais su recueillir toute la confidence, tout le secret de son existence en peine.

    Il n'avait pas su communiquer, ou bien la communication, la vraie communication n'existait que par endroits, en certains points de ruptures et en des moments très rares, à moins qu'il ne se puisse jamais y avoir de vraie communication. A moins que tous les mots que nous portons en nous, par delà nous-mêmes ne soient condamnés, toujours, qu'à la perpétuelle errance, l'infinie divagation de nos vies continuellement à la dérive. Et</personname /> comme des éternels Rimbaud,  en bateaux ivres, nous sillonnons les mers noires de nos désespoirs et de notre mal entonnoir.

    Ainsi, sa vie se détermina en cet instant bien précis, en cette seule minute décisive où son choix formula le désir alors encore indistinct et confus de prendre ce matin là, et seulement ce matin là, une autre route.


  • Commentaires

    1
    Dimanche 11 Décembre 2005 à 19:19
    Rien d'autre que...
    Ouawh ! je repasserai...
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    2
    ines
    Mercredi 14 Décembre 2005 à 14:01
    je salue
    ce courage...le courage d'affronter les choses, de s'affronter soi(=-meme même si certains penseraient (à tort) à une fuite ...
    3
    Mercredi 14 Décembre 2005 à 19:21
    inès
    Merci à vous inès; votre univers je le devine, n'est pas si loin du mien, c'est pourquoi je vous retourne le compliment. Vous aussi vous êtes bien courageuse. Pour s'affronter soi, il faut immensément de force; Et vous avez cette force.
    4
    Brigitte
    Jeudi 15 Décembre 2005 à 01:52
    J'avais déjà lu cet écrit de vous
    puis il a disparu un temps...Merci donc de l'avoir remis en ligne,il me plaît toujours autant...
    5
    Jeudi 15 Décembre 2005 à 19:59
    brigitte
    Je vous en donnerai prochainement comme promis la suite dans son entier. J'aimerais assez, avoir votre avis. Actuellement je finis de me relire et d'en reprendre les passages qui me déplaisent. Mais avec mon travail j'avoue avoir quelques difficultés à m'enchainer au devant de la table, car il faut s'attacher pour ne pas céder au désoeuvrement et au vide qui parfois vous avale dans son entier.
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