• Angoisse
    Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête
    En qui vont les péchés d'un peuple, ni creuser
    Dans tes cheveux impurs une triste tempête
    Sous l'incurable ennui que verse mon baiser:
    Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes
    Planant sous les rideaux inconnus du remords,
    Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges,
    Toi qui sur le néant en sais plus que les morts:
    Car le Vice, rongeant ma native noblesse,
    M'a comme toi marqué de sa stérilité,
    Mais tandis que ton sein de pierre est habité
    Par un coeur que la dent d'aucun crime ne blesse,
    Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul,
    Ayant peur de mourir lorsque je couche seul.
    Stéphane Mallarmé

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  • Je ne comprends pas lorsque je me regarde

    J'ai la manie de ressentir à un tel point

    Que quelquefois je me fourvoie lorsque je sors

    Des sensations dûment senties que je reçois.

    Je respire cet air, je bois cette liqueur,

    Ils font partie de ma façon d'être existant,

    Et je ne sais jamais comment il faut conclure

    Les sensations que je conçois contre mon gré.

    D'ailleurs je n'ai jamais de fait, examiné

    Si je sens pour de vrai ce que je sens.

    Moi je serais tel qu'en moi je parais ?

    Et je serais tel qu'en moi-même je me juge en toute vérité ?

    Même devant les sensations je suis un peu athée,

    Et je ne sais pas bien si c'est moi qui en moi ressens...

    Fernando Pessoa août 1913

    Dans une dépression sans fond, encerclé d'un mur d'angoisse, toute la vie de Pessoa esquisse le désir, la folie de sentir la couleur de ce monde fade, d'en extraire l'irreprésentable tragédie, et la transformer en un « souffle léger de musique », n'importe quoi, mais « n'importe quoi pour nous empêcher de penser », de penser son malheur. A découvrir également de Pessoa « le livre de l'intranquillité » pour cesser d'être tranquille, pour entrer enfin dans la vie, la dévorante, l'incessante, la cannibale...

    Poésie en lutte profonde avec la poésie comme mensonge sublimé de l'expérience humaine, miroir grossissant mais fidèle de l'insurmontable difficulté d'exister. Poésie de «l'intranquillité», c'est d'abord comme la voix d'un espace vide, qui peu à peu s'emplit d'une voix, d'une sonorité encore fragile, mais dont la musique lentement nous conduit au cœur de toute existence, à la difficile expérience de vivre...


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  • Les jeux de la poupée

    A Hans Bellmer</em />

    Restreinte puisque tout ce que l'on peut dire d'elle, la borne, la limite,

    Dans le plus petit espace de la vue la plus étroite,

    On cherche en calculant, on cherche en ergotant,

    La place de son cœur, la place de son enfance,

     La nuit rayonne à sa manière, des yeux au cœur,

    La nuit annule le sensible, le seul espace pur,

    L'homme aux aguets oublie le jour, baisse le front et perd,

    Ombre entre les rideaux tirés,

    La terre accable les collines, comble les vallées, joint les ponts.

     Certaines injures la déshabillaient, la rendaient pitoyable ou désirable

    Sang et poussière, un dé de lait, un dé d'eau pure,

    Dix aiguilles à main, oxydées dans les mailles de l'oreiller,

    Un dé de paille dans la grange, un dé de gomme dans le puits,

    Un dé de rien ici...

    L'intérieur des draps pour miroir,

    Un dé de tigres aux ongles et de lourdes fleurs d'encre aux lèvres,

    Un rien de terre...

     C'est une fille, où sont ses yeux ?

    C'est une fille, où sont ses seins

    C'est une fille, que dit-elle ?

    C'est une fille, à quoi joue-t-elle ?

    C'est une fille, c'est mon désir...

     L'espace ouvert contient des seins, une tête sur un cou suave,

    Et le germe de la lumière au fond de deux yeux sans secrets...

     Paul Eluard – 1938 le livre ouvert


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  • Arbres

    Chevaux sauvages et sages

    A la crinière verte

    Au grand galop discret

    Dans le vent vous piaffez

    Debout dans le soleil

    Vous dormez et rêvez.

     Les arbres et les bêtes

    Les humains et leurs sœurs

    Ont les mêmes cicatrices de la vie

    Les mêmes tatouages

    Les mêmes graffiti

    Les mêmes élagueurs

    Les mêmes chirurgiens esthétiques

    Les mêmes biologistes

    Les mêmes manucures

    Les mêmes vivisecteurs

    Les mêmes pépiniéristes

    Mais,

    Dans le cœur de verdure
    Ne cesse de battre

    Le cœur cambriolé

    Feuilleton des arbres

    Romance des forêts

    Refrain des plantes exilées...

    Jacques Prévert – Arbres


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  • Paul Eluard, poète de l'avant-garde, ami des Cubistes, Dadaïstes et Surréalistes. En 1913, il rencontre sa première femme, Helena Diakonova qu'il surnomme Gala. Gala dont Dali deviendra éperdument fou. Eluard a fait la connaissance d'André Breton et de Louis Aragon en 1919. Ensemble ils participaient au mouvement Dada. Il a rencontré Max Ernst à Cologne en 1921 et ils ont produit « Répétitions » et « Les malheurs des immortels ». La même année Eluard, Aragon, et Breton rompaient avec les Dadaïstes. Eluard faisait partie activement du mouvement surréaliste, fondé par Breton en 1924 avec le premier "Manifeste du surréalisme." Comme les autres surréalistes il a choisi d'adhérer au parti communiste en 1926. Eluard avec les autres surréalistes prenait une position contre les dangers du fascisme. "L'ami des peintres", Eluard s'est lié avec Picasso, Ernst, Dali, Man Ray qui ont illustré beaucoup de ses recueils. En même temps il s'inspirait de leurs peintures. Il a écrit les préfaces des expositions artistiques de Paul Klee, Man Ray, Max Ernst...


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